Les frères Hunt et leur débacle sur les cours de l'argent.


Le projet

Il s'agit de ramasser tout l'argent disponible qui existe sur la planète afin de se protéger contre l'inflation ! Nelson Bunker et William Herbert auraient préféré l'or, mais la législation américaine interdit aux particuliers de se porter acquéreurs de grosses quantités de métal jaune. Va donc pour l'argent, dont les stocks mondiaux sont alors de l'ordre de 500 millions d'onces (un peu plus de 15.000 tonnes). L'idée n'est pas aussi farfelue qu'elle le paraît au premier abord. En 1869 déjà, le milliardaire américain Jay Gould avait tenté de faire main basse sur l'or américain pour en faire grimper les cours, échouant à la dernière minute en raison de l'intervention du Trésor fédéral. Une histoire que les frères Hunt auraient dû méditer... Certains de réussir, les deux Texans commencent donc à acheter de l'argent sur les marchés mondiaux. Dans les premiers mois de l'année 1974, ils détiennent déjà 55 millions d'onces pour une valeur totale de 100 millions de dollars. Pour des raisons fiscales, ils décident de stocker l'essentiel de l'argent en Suisse. A cet effet, trois Boeing 707 sont loués qui font la navette entre New York et Zürich. Là, le métal précieux est chargé sur des camions blindés et acheminé jusqu'à six établissements bancaires tenus secrets. Etranges convois circulant la nuit et gardé par des dizaines d'hommes armés venus spécialement des Etats-Unis.

· Au milieu des années 1970, le bruit commence à courir que les frères Hunt ont entrepris de faire un " corner " sur le marché de l'argent. L'opération consiste à manipuler le marché dans le but d'obliger les vendeurs à liquider leurs positions et ce, à n'importe quel prix s'il le faut. De fait, à partir du milieu des années 1970, les frères Hunt commencent à accumuler les contrats sur l'argent afin de contraindre les vendeurs à leur céder leurs stocks. Comme s'il fallait s'y attendre, la manœuvre entraîne une hausse rapide des cours de l'argent : alors qu'en 1973 il cotait 1,95 dollar l'once, il en vaut près de 4 au début de l'année 1975. Pour racheter le stock encore disponible sur le marché, Nelson Bunker et William Herbert doivent donc se préparer à dépenser près de 2 milliards de dollars. Une somme énorme, même si les deux Texans peuvent compter sur l'héritage de leur père, récemment décédé, et sur leurs très florissantes affaires pétrolières. C'est autant pour répartir les risques financiers que pour accélérer leurs acquisitions de métal précieux qu'ils décident de faire appel à des partenaires.

· En mars 1975, Nelson Bunker se rend discrètement à Téhéran afin de proposer au shah d'Iran d'entrer dans la manœuvre. Mais la négociation échoue, en grande partie en raison de l'incapacité de l'américain à estimer précisément les gains qu'il compte tirer de l'affaire. A Téhéran en outre, on se méfie de ce parvenu aux manières de cow-boy et on craint que cette spéculation ne crée des problèmes avec le gouvernement américain. Deux autres tentatives aux Philippines et auprès de la famille royale saoudienne n'ont guère plus de succès. Ce n'est qu'en 1979 que Nelson Bunker et William Herbert parviennent enfin à intéresser des investisseurs saoudiens en quête de placements juteux pour leurs pétrodollars. C'est ainsi qu'au printemps 1979 est créé l'International Metal Investment Group.

· La société commence immédiatement à ramasser tout l'argent disponible sur le marché. Entre juin et décembre 1979, elle acquiert pour plus de 150 millions d'onces de métal précieux, portant à 200 millions le stock total détenu par les deux frères et leurs partenaires saoudiens. Dans le même temps, les cours s'envolent littéralement, passant d'un peu plus de 5 dollars l'once au début de l'année 1979 à... 54 dollars un an plus tard. Nelson Bunker et William Herbert ont réussi leur pari : en janvier 1980, ils ont accumulé tellement de contrats sur l'argent que les vendeurs ne peuvent tenir leurs engagement, ce qui les obligent à racheter l'argent sur le marché au prix fort. L'entrée dans la danse de centaines de spéculateurs ne fait qu'aggraver les choses. Depuis leur ranch de Dallas, les deux frères ont tout lieu de se réjouir. Détenant une bonne moitié des stocks d'argent de la planète, immensément riches - leur fortune virtuelle représente plusieurs centaines de milliards de dollars -, ils font part à qui veut les entendre de leur intention de réintroduire l'argent en tant que monnaie, en remplacement de la monnaie papier. Ce sont ces foucades, autant que les risques de déstabilisation en chaîne, qui vont pousser les autorités à intervenir.

· Au début de l'année 1980, le Comex (New York Commodity Exchange), appuyé par la Réserve fédérale, décide brutalement de changer les règles du jeu. Afin de casser la spéculation, des dépôts de garantie réclamés aux nouveaux acheteurs sont portés à des niveaux prohibitifs. En outre, les professionnels sont autorisés à remplacer la livraison d'argent par du cash, ce qui soulage immédiatement le marché " short ". En outre, le nombre de contrats pouvant être détenus par une personne ou une entité est drastiquement limité. L'effet ne tarde pas : entre janvier et début mars 1980, le cours de l'argent recule brutalement de 54 à 21 dollars. Le 26 mars 1980, le fameux " Silver Thursday ", les cours plongent brutalement à 10,8 dollars ! Des centaines de spéculateurs sont ruinés. Les frères Hunt eux-mêmes sont contraints de se déclarer en faillite. Ils seront condamnés en 1988 pour manipulation de marché. Comme en 1869 lors de l'affaire Gould, les autorités fédérales ont réussi à briser net la spéculation.

· Au début des années 1980, la baisse brutale des prix du pétrole achève de ruiner les Hunt. Ruine toute relative au demeurant, la famille conservant aujourd'hui encore de nombreux actifs dans le pétrole. Mais c'en est fini de la flamboyance des Hunt. A trop jouer avec l'argent, ils ont fini par se brûler les doigts...